Présomption d’innocence et traitement médiatique

Justice

Il est courant de pointer du doigt les médias comme les principaux « saboteurs » de la présomption d’innocence. La critique peut sembler acerbe, mais elle est tout à fait justifiée. Mais ne pourrait-on pas dire que la justice elle-même est la première à éroder les fondements sur lesquels elle repose ? Eléments de réponse !

Protéger la présomption d’innocence, vraiment ?

La présomption d’innocence doit être protégée à tout prix, un refrain que l’on ne cesse d’entonner ici et là. Mais en réalité, il semblerait que cette notion fondamentale serait sur le point de s’évaporer, un peu à la manière du secret de l’enquête, ou encore de la collégialité et de l’oralité des débats. A qui donc la faute ? Les voix sont unanimes : les médias sont à blâmer ! Il faut bien reconnaître que, tous gardiens de la démocratie qu’ils puissent être, les médias ont indéniablement contribué à ce phénomène toxique. Souvent, dans un élan démesuré, ces derniers mettent en effet à mal la notion de présomption d’innocence, comme a pu en témoigner le cas Wilfried Happio, pris au milieu d’un mini tsunami médiatique lors de son audition. Au final, la plainte a été classée sans suite…

Mais il y a peut-être une cause plus profonde à la « déchéance » du principe de présomption d’innocence… Prenons le cas d’un procureur qui, dans une affaire particulièrement médiatisée, sous le couvert de l’article 11 du code de procédure pénale, passe une heure devant les caméras à prononcer un réquisitoire glacial, le soir même où un homme est mis en examen et placé en détention, accusé de l’assassinat de son épouse. Croit-il vraiment en la présomption d’innocence ? Comment le détail de l’état du pyjama du suspect ou le nombre de pas enregistré par son podomètre pourraient-ils, selon les termes de l’article 11, « éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes » ou « mettre fin à un trouble à l’ordre public ? ».

De la nécessité de contrarier l’opinion publique

Qu’en est-il de cette justice qui, lorsqu’elle est appelée à peser la présomption d’innocence du père Preynat contre la liberté d’expression d’un réalisateur, tranche sans la moindre hésitation en faveur de cette dernière ? La Cour de cassation a décidé, dans son arrêt du 6 janvier 2021, que le film était une fiction et non un documentaire, et qu’il relatait des faits déjà connus du public. De toute manière, une note à la fin du film rappelle la présomption d’innocence. Certes, on peut dépeindre l’accusé comme coupable pendant 2 heures 18 minutes avec toute la puissance émotionnelle que le cinéma peut invoquer, si à la fin le spectateur, s’il n’a pas déjà quitté la salle, peut lire que le coupable cinématographique est (encore) juridiquement innocent. L’état de droit est préservé ! Le ouf de soulagement, généralisé.

La Cour souligne également que « la suspension de la sortie du film jusqu’à la conclusion définitive de la procédure pénale impliquant » la partie concernée « pourrait vraisemblablement ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions susceptibles de porter une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d’expression ». En première instance, le juge s’était inquiété du préjudice économique que le réalisateur aurait subi si la suspension de son film avait été ordonnée ! On peut fantasmer sur un juge qui aurait plutôt privilégié le respect de la présomption d’innocence par rapport à la liberté d’expression et à la prospérité d’un réalisateur de cinéma. Cela aurait été un meilleur service rendu à la défense de cette dernière plutôt qu’une nouvelle loi.

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