Couronne mal posée, racine brisée, infection persistante ou sourire définitivement gâché… derrière le silence feutré d’un cabinet dentaire, certaines interventions tournent au cauchemar. Les patients, désorientés, oscillent entre douleur physique et désarroi moral, souvent sans savoir par où commencer pour faire valoir leurs droits. Pourtant, le droit français encadre strictement la responsabilité des chirurgiens-dentistes, et les recours existent bel et bien. Encore faut-il les connaître, et les enclencher avec méthode. Le point sur le sujet avec Geoffrey Migliardi !
Une faute dentaire, c’est quoi juridiquement ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un dentiste n’est pas tenu d’obtenir un résultat parfait, il est plutôt soumis à une obligation de moyens. Autrement dit, il doit tout mettre en œuvre pour dispenser un soin conforme aux règles de l’art, sans pouvoir garantir à 100 % le succès de l’intervention. Mais dès lors que ce devoir est rompu — par négligence, erreur d’analyse ou mauvaise exécution — sa responsabilité peut être engagée.
L’article L.1142-1 du Code de la santé publique est sans ambiguïté : toute faute médicale engage la responsabilité du praticien si elle cause un dommage. Cela inclut les fautes techniques (comme un implant mal positionné), mais aussi le manquement au devoir d’information. Ne pas alerter un patient des risques liés à une procédure, c’est déjà une faute.
Le patient, seul à devoir prouver la faute
Seulement voilà, en cas de litige, c’est au patient de démontrer que le professionnel a fauté. Et là, la partie s’annonce rude. Car il faudra réunir des preuves solides : dossier médical, avis de praticiens indépendants, constats objectifs du préjudice. A ce niveau, trois grandes typologies de fautes peuvent être retenues, à savoir une négligence ou une imprudence manifeste (un protocole non respecté), une erreur de diagnostic qui oriente vers un traitement inapproprié, ou une mauvaise exécution de l’acte médical (comme une dent fracturée ou une prothèse mal ajustée). Si vous cochez l’une de ces cases, il devient possible de faire valoir vos droits.
Obtenir réparation : par où commencer ?
Tout commence avec votre dossier médical, un document que votre dentiste est légalement tenu de vous transmettre (article L.1111-7 CSP), et qui constitue le socle de toute procédure. Il regroupe les comptes rendus d’intervention, les radios, les notes du praticien. Ensuite, une tentative de conciliation amiable est fortement recommandée. Écrivez noir sur blanc les préjudices subis, et exigez un contact avec l’assurance responsabilité civile professionnelle du dentiste. Cette assurance est obligatoire, et dans de nombreux cas, elle peut aboutir à une indemnisation sans même passer devant un juge.
Mais si le dialogue n’aboutit pas, ou si la proposition d’indemnisation s’avère grotesque, il faudra monter d’un cran…
L’expertise médicale, la pièce maîtresse du puzzle
C’est souvent le nerf de la guerre. L’expertise médicale va trancher une question centrale : y a-t-il eu faute ? Si oui, quelles sont les conséquences médicales, esthétiques, fonctionnelles et psychologiques ? Seul bémol, dans la majorité des cas, l’expert est nommé par… l’assurance du dentiste ! D’où l’intérêt de vous adjoindre un médecin-conseil indépendant. Ce professionnel saura défendre vos intérêts, contester une analyse bâclée et valoriser au mieux votre préjudice. Il est même possible de demander une expertise judiciaire en référé, via un avocat.
Quid de l’action en justice ?
Si la faute est prouvée, place à l’action civile. Le tribunal judiciaire est compétent pour les litiges supérieurs à 10 000 €, le tribunal de proximité en dessous. Le délai de prescription est de 5 ans à compter du jour où vous avez eu connaissance du dommage. Dans le détail, l’indemnisation peut couvrir les frais médicaux correctifs, la perte de revenus (arrêts de travail), le préjudice esthétique ou fonctionnel, et le préjudice moral (douleur, anxiété, honte). C’est là que les montants peuvent grimper. Mais attention, il faut savoir que les procédures sont longues, coûteuses et souvent éprouvantes.
Un recours disciplinaire en parallèle
Indépendamment de l’action civile, vous pouvez saisir le Conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. Il s’agit ici de pointer une faute déontologique : négligence, non-respect du secret professionnel, manquement au devoir d’information. Le Conseil peut alors prononcer une sanction disciplinaire, allant de l’avertissement au blâme, en passant par la suspension, voire la radiation. Mais attention, ce recours n’ouvre pas droit à indemnisation, il ne sert qu’à faire respecter l’éthique de la profession.
L’arme de l’assurance responsabilité civile professionnelle
C’est le levier le plus concret pour le patient. Toute faute reconnue entraîne l’activation de l’assurance RCP du dentiste, qui prendra en charge vos soins de reprise, vos pertes de revenus et vos douleurs psychologiques ou physiques. Mais là encore, l’assureur du dentiste cherchera naturellement à minimiser le préjudice. D’où l’importance de vous faire accompagner par des professionnels du droit médical.