Lundi 10 avril 2023, un tweet du garde des sceaux a mis en émoi le monde judiciaire français. En effet, Eric Dupond-Moretti avait annoncé le décès d’Hervé Temime. Grand ténor du barreau parisien, ce dernier ne laisse personne indifférent. Voici un petit retour sur la vie de cet illustre personnage !
D’Alger à Paris
Hervé Temime a vu le jour le 26 juin 1957 à Alger. Il vient d’une famille juive séfarade. Pieds-noirs comme ils étaient, lui et les siens se sont exilés lors de l’indépendance de l’Algérie en 1962. Ils ont d’abord migré vers Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, avant de s’installer à Versailles, dans les Yvelines, où son père a pu exercer en tant que médecin.
Peu après, le père de famille décède alors qu’Hervé Temine n’avait encore que 10 ans. Ce dernier a donc dû être élevé par sa mère et sa grand-mère. Cet incident ne l’a toutefois pas empêché d’avoir une passion des grands procès dès son plus jeune âge. Cet intérêt a continué à s’installer peu à peu, au point de l’inciter à devenir avocat pénaliste.
En effet, très tôt, ce prodige vouait déjà une fascination pour le travail d’Emile Pollak et de Robert Badinter. Pour rappel, c’étaient d’illustres avocats français qui faisaient régner la justice durant leur époque. Le premier est l’une des plus grandes figures du barreau français alors que le second s’est démarqué par sa lutte contre la peine de mort.
Pour ce faire, ce fils orphelin de père a suivi des études de droit à l’université de Sceaux, puis à celle d’Assas à Paris. En parallèle, il faisait des études de comptabilité. Vers l’année 1979, il s’inscrit au barreau de Versailles et entame sa carrière comme commis d’office à son compte. À 20 ans, on lui dénombre déjà plus d’une cinquantaine de plaidoiries.
Un an plus tard, en 1980, il devient premier secrétaire de la conférence du stage du Barreau de Versailles. C’est aussi l’année de sa rencontre avec un certain Thierry Herzog, qui deviendra par la suite un ami fidèle. Trois ans plus tard, il s’inscrit au barreau de Paris et fondait avec ce nouvel ami un cabinet situé quai Saint-Michel.
Les trois H, association des Avocats pénalistes et Temime & Associés
Au milieu des années 1980, un autre avocat, Pierre Haïk, rejoint les deux amis et forment ensuite “les trois H”. Le groupe plaide ensemble devant la seizième chambre correctionnelle au premier étage du quai des orfèvres. Celle-ci étant, longtemps réservée aux affaires de stupéfiants avant d’être consacrée aux affaires terroristes actuellement.
Ainsi, la majorité des clients des Trois H étaient alors des dealers. D’ailleurs, ceci leur valait un surnom de “trois hasch”, une dénomination faisant référence à la drogue dure “haschich”, mais qui leur était égal. D’après les sources, Hervé Temime aurait déjà plaidé entre 80 et 100 détenus en cours d’instruction dans ce groupe.
Plus tard, les trois amis laissent tomber ce domaine dédié aux “stups” pour aller vers d’autres horizons. Des affaires de détournements de fonds publics, des pots-de-vins, des financements occultes ou des emplois fictifs leur tendaient les bras. Cela n’a donc pas tardé avant que des chefs d’entreprise, des élus et des ministres fassent appel à eux.
Hervé Temime, pour sa part, a entre autres plaidé pour le président de la région Ile-de-France, Michel Giraud, embourbé dans un système de marché truqué. En dépit de cet exploit, celui-ci a toutefois décidé de diversifier son activité en se lançant dans les affaires de finances. C’est grâce à cette initiative qu’il a d’ailleurs pu défendre un courtier accusé d’avoir dérobé près de 259 millions de francs dans l’affaire Cogema.
En 1991, l’avocat, désormais très expérimenté, crée l’association des Avocats pénalistes et en devient le président d’honneur. En 2008, il instaure un cabinet spécialisé dans la défense pénale et contentieux, le “Temime & Associés”, avec plusieurs collaborateurs. Huit ans plus tard, une branche du cabinet a été ouverte à Marseille.
En 2018 et en 2019, Temime & Associés se voit être récompensé pour son travail acharné. Le groupe obtient le prix “Trophées du droit” dans la catégorie “droit pénal des affaires”. Quant à Hervé Temime, il a même été désigné “avocat de l’année” dans la catégorie “défense pénale” par la revue juridique américaine Best Lawyers en 2019.
Roman Polanski, Bernard Tapie et les autres
Parmi ses nombreux clients, Hervé Temime comptait plusieurs personnages publiques et célébrités. Cela lui a même fallu le surnom “d’avocat des puissants”. Bien qu’il était souvent dans les bancs des accusés, il se défendait toutefois “d’être du côté du mal”. Selon lui, tout le monde a droit à une défense, conscient du sort des parties civiles.
A titre d’exemple, il est possible de rappeler l’incident avec le réalisateur Roman Polanski en 2009. Celui-ci a été arrêté lors du festival du film de Zurich à Genève, accusé du viol d’une jeune fille 32 ans plus tôt. Hervé Temime s’est alors déplacé pour l’aider dans sa défense et a réussi à lui éviter la prison.
Dix ans plus tard, une photographe française du nom de Valentine Monnier a indiqué avoir été violée par Roman Polanski en 1975. L’avocat prodige a pourtant réfuté l’accusation et a été choqué de la situation qui en découlait. En effet, ce scandale a engendré une vague d’indignation que ce défenseur acharné qualifiait de “tribunal médiatique”.
Hervé Temime continue son parcours professionnel, cette fois-ci, avec le célèbre chanteur Johnny Hallyday. Pour sa part, l’artiste avait porté plainte contre son médecin pour “avoir commis un massacre”. L’avocat des puissants prend alors la défense de ce dernier, le Dr Delajoux et réussit à conclure l’affaire à l’amiable.
En avril 2019, Hervé Temime défend Bernard Tapie dans l’affaire du Crédit Lyonnais. L’ancien député a été jugé pour un arbitrage présumé truqué. Grâce à l’intervention de l’avocat, celui-ci a pu être relaxé. A la fin de l’affaire, l’homme de loi avait même déclaré avoir été satisfait du jugement prononcé, ce qu’il qualifiait de “netteté exceptionnelle”.
Hervé Temime avait aussi à sa charge la tâche de défendre le photographe François-Marie Banier accusé d’avoir extorqué Liliane Bettencourt. Son dernier plaidoiries date du début février 2023 où il défendait son confrère le Maître Xavier Nogueras dans une affaire en lien avec le narcotrafiquant Robert Dawes. Le jugement de l’affaire est prévu pour le 18 avril prochain.
Secret professionnel, secret professionnel et encore secret professionnel
Le secret professionnel est cher à l’avocat des puissants et le mot “transparence” lui donne des urticaires. Il transformait d’ailleurs ce mot en “transperçance” à cause de son métier. Pour lui, le secret est un droit, une véritable obligation morale qui reflète la liberté de la population. Cela doit alors être protégé coûte que coûte.
Ainsi, Hervé Temime se méfiait des journalistes de son vivant. Il détestait les fuites sur les affaires en cours et le crépitement débilitant des réseaux sociaux. Il s’indignait également de la rumeur de la foule et du fameux tribunal médiatique. Il a même été scandalisé par la méthode judiciaire qui lui a été réservée, lui et ses confrères, lors de l’affaire Bismuth.
A l’époque, leurs relevés téléphoniques avaient été espionnés à compter de 2014 par le parquet national financier (PNF). Le but était de chercher la taupe à l’origine d’avoir informé l’ancien président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. A noter que cet informateur secret n’a jamais été identifié à ce jour.
Dans cette affaire, Hervé Temime n’a pas du tout hésité à défendre son ami et son collègue. Il a essuyé quelques larmes quand celui-ci a été condamné en première instance. Le cour d’appel étant encore dans sa procédure, celui-ci rendra son verdict le mois prochain. Malheureusement, Hervé Temime ne pourra plus y assister.
Avant son décès, Hervé Temime avait également plaidé pour le renforcement du secret professionnel des avocats. Son ami, garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti l’a porté et l’a fait inscrire dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Cela se présente alors comme l’un des nombreux vestiges laissés par cet illustre avocat.
En dehors du barreau…
Hervé Temime se disait “avoir toujours aimé la compagnie des femmes”. Ceci vient du fait, selon lui, d’être élevée par sa mère et sa grand-mère, dans l’humour et l’amour. Il disait puiser sa force chez ses “deux femmes pétries d’admiration”. Cela, sans parler de l’actrice Valérie Lemercier qui a été sa compagne durant sept ans.
Doué d’autodérision, Hervé Temime a joué des rôles d’avocat ou de procureur au cinéma. Il a déjà fait des apparitions dans Polisse, Un prophète, Mon Roi et Les Choses humaines. Très réservé comme il était, il s’est tout de même ouvert dans deux livres : La Défense dans la peau, dans les éditions Stock en 2012 et Secret défense en éditions Gallimard en 2020.
Du temps où ils étaient encore les trois H, Thierry Herzog, Pierre Haïk et Hervé Temime déjeunaient ensemble à la buvette du palais avant le début des audiences. Ils se sont toujours retrouvés à la même table, celle de la première à droite. Bien entendu, être invité à leur table était un honneur.
Le 19 février 2023, Pierre Haïk meurt à l’âge de 72 ans d’une longue maladie. Il avait été atteint par la maladie d’Alzheimer. Ses obsèques ont eu lieu le 24 février dernier au cimetière Père-Lachaise. Cet incident a bien évidemment touché tout le groupe, principalement Hervé Temime.
Le soir même, l’avocat des puissants a été hospitalisé à la suite d’une douleur au thorax. Les médecins lui ont diagnostiqué un anévrisme de l’aorte doublé d’un accident vasculaire cérébral. Il a ensuite été plongé dans le coma dont il ne sera malheureusement pas sorti. Le célèbre avant s’éteint le 10 avril 2023, laissant le barreau “orphelin” comme tweetait le ministre Eric Dupond-Moretti durant son annonce.